9.30.2012

Berceuse

Sein maternel au pur contour,
Veiné d'azur, gonflé d'amour,
Ton lait s'échappe d'une fraise
Où la soif de vivre s'apaise,
Où l'enfant boit, souriant d'aise.

Sein maternel, doux oreiller,
Où, bienheureux de sommeiller,
Bouche ouverte, paupière close,
Le fortuné chérubin rose
Dans un calme divin repose.

Rêve-t-il de ciels inconnus,
L'enfant merveilleux qui vient d'elle ?
Sa voix a des cris d'hirondelle,
Et ses joyeux petits bras nus
Ont comme des battements d'aile.

André Lemoyne (1822-1907),
Chansons des nids et des berceaux (1896)

4.02.2012

Pourquoi les femmes sont sur la terre

Les femmes sont sur la terre
Pour tout idéaliser ;
L'univers est un mystère
Que commente leur baiser.

C'est l'amour qui, pour ceinture,
A l'onde et le firmament,
Et dont toute la nature,
N'est, au fond, que l'ornement.

Tout ce qui brille, offre à l'âme
Son parfum ou sa couleur ;
Si Dieu n'avait fait la femme,
Il n'aurait pas fait la fleur.

A quoi bon vos étincelles,
Bleus saphirs, sans les yeux doux ?
Les diamants, sans les belles,
Ne sont plus que des cailloux ;

Et, dans les charmilles vertes,
Les roses dorment debout,
Et sont des bouches ouvertes
Pour ne rien dire du tout.

Tout objet qui charme ou rêve
Tient des femmes sa clarté ;
La perle blanche, sans Eve,
Sans toi, ma fière beauté,

Ressemblant, tout enlaidie,
A mon amour qui te fuit,
N'est plus que la maladie
D'une bête dans la nuit.

Tout l'A B C des femmes

Ma Jeanne, dont je suis doucement insensé,
Étant femme, se sent reine ; tout l'A B C
Des femmes, c'est d'avoir des bras blancs, d'être belles,
De courber d'un regard les fronts les plus rebelles,
De savoir avec rien, des bouquets, des chiffons,
Un sourire, éblouir les coeurs les plus profonds,
D'être, à côté de l'homme ingrat, triste et morose,
Douces plus que l'azur, roses plus que la rose ;
Jeanne le sait ; elle a trois ans, c'est l'âge mûr ;
Rien ne lui manque ; elle est la fleur de mon vieux mur,
Ma contemplation, mon parfum, mon ivresse ;
Ma strophe, qui près d'elle a l'air d'une pauvresse,
L'implore, et reçoit d'elle un rayon ; et l'enfant
Sait déjà se parer d'un chapeau triomphant,
De beaux souliers vermeils, d'une robe étonnante ;
Elle a des mouvements de mouche frissonnante ;
Elle est femme, montrant ses rubans bleus ou verts.
Et sa fraîche toilette, et son âme au travers ;
Elle est de droit céleste et par devoir jolie ;
Et son commencement de règne est ma folie.
-- Victor Hugo

2.27.2012

Maman

Je suis un enfant trouvé. Mais jusqu’à huit ans j’ai cru que, comme tous les autres enfants, j’avais une mère, car lorsque je pleurais, il y avait une femme qui me serrait si doucement dans ses bras, en me berçant, que mes larmes s’arrêtaient de couler.

Jamais je ne me couchais dans mon lit, sans qu’une femme vînt m’embrasser, et, quand le vent de décembre collait la neige contre les vitres blanchies, elle me prenait les pieds entre ses deux mains et elle restait à me les réchauffer en me chantant une chanson, dont je retrouve encore dans ma mémoire l’air, et quelques paroles.

Quand je gardais notre vache le long des chemins herbus ou dans les brandes, et que j’étais surpris par une pluie d’orage, elle accourait au-devant de moi et me forçait à m’abriter sous son jupon de laine relevé qu’elle me ramenait sur la tête et sur les épaules.

Enfin quand j’avais une querelle avec un de mes camarades, elle me faisait conter mes chagrins, et presque toujours elle trouvait de bonnes paroles pour me consoler ou me donner raison.

Par tout cela et par bien d’autres choses encore, par la façon dont elle me parlait, par la façon dont elle me regardait, par ses caresses, par la douceur qu’elle mettait dans ses gronderies, je croyais qu’elle était ma mère.

La mère de famille garde-malade

C'est encore à la femme qu'incombe dans les familles la belle et importante mission du soin des malades. Sa main délicate, son adresse, son cœur compatissant et bon lui donnent accès naturellement près de tous ceux qui souffrent. Son dévouement est à toute épreuve. Debout, auprès du lit de son cher patient, elle épie ses moindres paroles, devine ses besoins, va au-devant de ses désirs et passe les nuits sans se plaindre, on dirait sans se fatiguer, tant elle y met de persévérance. L'homme malade voit ses forces s'en aller, ses facultés se troubler ou s'affaiblir, et sous l'empreinte de la souffrance son caractère devient susceptible, irritable. Combien il est heureux alors d'avoir près de lui sa femme, qui devient sa garde et qui, à côté des soins matériels qu'elle lui prodigue, relève son moral abattu, l'encourage et le fortifie!


Ah ! chères enfants, ne reculez jamais devant cette fonction de gardes-malades, puisque toutes les femmes à une époque de leur vie sont appelées à la remplir, soit comme épouses, soit comme mères ou comme filles.


Lorsqu'on donne ses soins à une personne aimée, le cœur suggère vite ce qu'il y a de mieux à faire ; mais pourtant il faut dire que l'art de soigner les malades ne peut s'improviser complètement, il y a un savoir-faire à acquérir. En Allemagne, il existe des écoles de gardes-malades, d'où les femmes d'un âge mûr sortent après plusieurs années d'études spéciales, munies d'un brevet de capacité ; il y a aussi à Paris des cours spéciaux de ce genre. Cependant, en France, ce sont généralement des religieuses qui remplissent l'office de gardes-malades.


Une jeune dame disait un jour : « Moi, j'ai le malheur d'être trop sensible, il m'est impossible d'aller visiter une personne dangereusement malade et surtout de voir un mort. » On lui répondit : « C'est vrai, madame, c'est un spectacle douloureux que d'être près d'un mourant ou d'un mort ; mais il est des devoirs avec lesquels on ne doit pas transiger, quoiqu'il en coûte ; il faut aguerrir son cœur contre une sensibilité exagérée, et, dans ces heures pénibles pour le cœur, la raison doit dominer les impressions. Quoi de plus ridicule qu'une personne qui n'ose toucher à une sangsue, qui s'évanouit en assistant à une saignée, qui se plaint de maux de cœur en voyant une plaie ; ce n'est pas là de la sensibilité, c'est de la faiblesse et de l'enfantillage. »


Terminons par quelques conseils pratiques :

La douceur est une qualité essentielle près des malades. Douceur dans le ton de la voix et dans les paroles : il ne faudrait parler aux malades que comme aux petits enfants délicats, avec une voix posée, calme, peu bruyante et qui ressemblât presque à un sourire. —Douceur dans les manières : une main légère qui touche sans appuyer, qui est active sans précipitation, qui va doucement, sans lambinerie, est une des qualités les plus précieuses. —Douceur dans le caractère : pour ne pas se fâcher d'une parole un peu vive, d'une injustice, ni de ce que le malade se plaint de vous, ni de ce qu'il préfère les soins d'un autre à vos soins à vous, ni de ce qu'il est trop exigeant.


Une garde bonne et dévouée trouve dans son cœur des ressources ingénieuses : elle a toujours des faits à raconter, des paroles aimables à dire : elle entre dans la manière de voir du malade, riant quand il sourit, le plaignant quand il se plaint, l'écoutant surtout avec un empressement marqué quand il parle de lui, et cela d'une manière naturelle, paisible, affectueuse qui a la puissance souvent de faire oublier au malade ses souffrances.


Lorsqu'une personne est sérieusement malade, la porte de sa chambre doit être soigneusement fermée à tous les visiteurs ; ils peuvent être reçus dans une pièce à côté. Le moindre bruit, les allées et venues fatiguent le patient. Il faut aussi que les membres de la famille qui l'approchent ne laissent voir ni les craintes qu'ils ont, ni la douleur qu'ils éprouvent ; leur visage doit refléter une sérénité qu'ils n'ont pas au fond du cœur. Les yeux des malades sont très perspicaces, ils cherchent à lire sur votre physionomie ce que vous pensez de leur état. Faites en sorte qu'ils n'entendent jamais de mot qui puisse les faire croire à leur fin prochaine. Ah ! laissons à nos chers malades, laissons-leur du moins l'espérance, la plus consolante des vertus et celle qui reste la dernière!

Tiré du Savoir-faire et le savoir-vivre, de Clarisse Juranville

Conseils à une jeune fille

Laisse-toi conseiller par l’aiguille ouvrière,

Présente à ton labeur, présente à ta prière,

Qui dit tout bas : « Travaille ! » Oh ! crois-la ! Dieu, vois-tu,

Fit naître du travail, que l’insensé repousse,

Deux filles : la vertu, qui fait la gaîté douce,

Et la gaîté, qui rend charmante la vertu !


Sois pure sous les cieux ! Comme l’onde et l’aurore,

Comme le joyeux nid, comme la tour sonore,

Comme la gerbe blonde, amour du moissonneur,

Comme l’astre incliné, comme la fleur penchante,

Comme tout ce qui rit, comme tout ci qui chante,

Comme tout ce qui dort dans la paix du Seigneur !


Sois calme. Le repos va du cœur au visage ;

La tranquillité fait la majesté du sage.

Sois joyeuse. La foi vit sans l’austérité ;

Un des reflets du ciel, c’est le rire des femmes ;

La joie est la chaleur qui jette dans les âmes

Cette clarté d’en haut qu’on nomme Vérité.


Sois bonne. La bonté contient les autres choses.

Le Seigneur indulgent sur qui tu te reposes

Compose de bonté le penseur fraternel.

La bonté, c’est le fond des natures augustes.

D’une seule vertu Dieu fait le cœur des justes

Comme d’un seul saphir la coupole du ciel.


Ainsi, tu resteras, comme un lys, comme un cygne,

Blanche entre les fronts purs marqués d’un divin signe ;

Et tu seras de ceux qui, sans peur, sans ennuis,

Des saintes actions amassant la richesse,

Rangent leur barque au port, leur vie à la sagesse,

Et, priant tous les soirs, dorment toutes les nuits !



Extrait de « Regard jeté dans une mansarde », IX,

de VICTOR HUGO, Les rayons et les ombres, IV

2.23.2012

Elle était pâle et pourtant rose

Elle était pâle, et pourtant rose,
Petite avec de grands cheveux.
Elle disait souvent : je n'ose,
Et ne disait jamais : je veux.

Le soir, elle prenait ma Bible
Pour y faire épeler sa soeur,
Et, comme une lampe paisible,
Elle éclairait ce jeune coeur.

Sur le saint livre que j'admire
Leurs yeux purs venaient se fixer ;
Livre où l'une apprenait à lire,
Où l'autre apprenait à penser !

Sur l'enfant, qui n'eût pas lu seule,
Elle penchait son front charmant,
Et l'on aurait dit une aïeule,
Tant elle parlait doucement !

Elle lui disait: Sois bien sage!
Sans jamais nommer le démon ;
Leurs mains erraient de page en page
Sur Moïse et sur Salomon,

Sur Cyrus qui vint de la Perse,
Sur Moloch et Léviathan,
Sur l'enfer que Jésus traverse,
Sur l'éden où rampe Satan.

Moi, j'écoutais... - Ô joie immense
De voir la soeur près de la soeur!
Mes yeux s'enivraient en silence
De cette ineffable douceur.

Et, dans la chambre humble et déserte,
Où nous sentions, cachés tous trois,
Entrer par la fenêtre ouverte
Les souffles des nuits et des bois,

Tandis que, dans le texte auguste,
Leurs coeurs, lisant avec ferveur,
Puisaient le beau, le vrai, le juste,
Il me semblait, à moi rêveur,

Entendre chanter des louanges
Autour de nous, comme au saint lieu,
Et voir sous les doigts de ces anges
Tressaillir le livre de Dieu !

-- Victor Hugo